La question climatique fait aujourd’hui largement consensus en Europe même si un certain nombre de nos concitoyens sont encore dans le déni. Pourtant, cela fait un demi-siècle, donc deux générations que des lanceurs d’alerte, solides sur le plan scientifique, nous ont révélé le scénario possible d’un effondrement. Une archive vidéo à voir absolument !
« Les problèmes de production, de développement, notre société d’abondance, je suis persuadé que nous faisons totalement fausse route. Si on ne s’en rend pas compte suffisamment tôt, on arrivera à la catastrophe. » C’est le discours que tenait à la télévision ce lanceur d’alerte visionnaire, il y a 50 ans.
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Parler d’effondrement avant l’heure
L’océanographe suisse Jacques Piccard (1922-2008) a passé une bonne partie de son existence à explorer les grands fonds marins et à concevoir des sous-marins. Son plus haut fait de gloire : avoir atteint en 1960, dans son bathyscaphe, le point le plus bas de la croûte terrestre, situé dans la fosse des iles Mariannes (Pacifique) à 11 kilomètres de profondeur.
Il est le père du non moins fameux Bertrand Piccard*, concepteur du projet d’avion solaire Solar Impulse, qui a bouclé un tour du monde dans cet appareil volant hallucinant entre mars 2015 et juillet 2016.
Je suis tombé par hasard sur une intervention télévisée de Jacques Piccard, datant de 1974. Invité dans une émission de la RTS, il tente d’expliquer à des interviewers incrédules que « Si tout continue la même façon, vers les années 2030 environ, donc dans 50 ou 60 ans… l’humanité est menacée. »
Le rapport Meadows
Jacques Piccard s’appuie alors sur le fameux Rapport Meadows, publié deux ans plus tôt, en 1972. Ce rapport, publié sous le titre « The Limits to Growth » (Les Limites à la croissance, encore appelé « Le rapport au Club de Rome » ) mettait en évidence la nécessité de mettre fin à la croissance pour préserver le système mondial d’un effondrement envisageable et de stabiliser à la fois l’activité économique et la croissance démographique.
50 ans après, ce rapport est encore systématiquement cité en référence par les experts du dérèglement climatique et de la transition énergétique comme Jean-Marc Jancovici, Pablo Servigne, Arthur Keller, Philippe Bihouix et les autres.
La plupart d’entre eux le considère comme le point de départ de la prise de conscience mondiale des limites planétaires. The Limits to Growth est devenu la référence des débats qui évoquent les conséquences écologiques de la croissance économique, des limitations des ressources et de l’évolution démographique.
Maintenant qu’on sait, où est le problème ?
Dès 1972, les auteurs du rapport avaient déjà perçu ce qui leur semblait être deux évidences :
- Plus la prise de décision sera tardive, plus elle deviendra difficile à mettre en place.
- Pour qu’une économie sans croissance puisse être acceptée, il sera indispensable de répartir les richesses pour garantir la satisfaction des besoins humains principaux.
Dans cet entretien télévisé, Jacques Piccard explique que tous les scénarios qui ont été modélisés sur ordinateur par les chercheurs du MIT conduisent invariablement à la même conclusion.
Exploitation des ressources naturelles, pollution, production alimentaire, investissements en capital, niveau de vie, taux d’accroissement de la population : quels que soient les paramètres qu’on tente de réviser à la baisse, le résultat est toujours le même : une catastrophe qui entraîne une baisse brutale de la population. Ce que les collapsologues désignent aujourd’hui sous le terme d’effondrement…
Il est là, le danger !
Perplexe, l’interviewer tente de retrouver une raison d’espérer en interrogeant Piccard : « Mais est-ce qu’on peut sérieusement imaginer que c’est aussi dramatique ? »
Le scientifique explique alors que les chercheurs du MIT ont ensuite eu l’idée lumineuse de poser le problème à l’envers en cherchant la trajectoire à suivre pour éviter cet effondrement. « L’ordinateur a calculé, reprend Piccard, qu’il fallait réduire les investissements de 40%, la pollution de 50%, l’exploitation des matières premières de 75%, la production alimentaire de 20% et limiter la natalité. »
L’interviewer le relance alors avec pertinence : « Est-ce imaginable de freiner le progrès économique alors que les 3/4 de l’humanité sont en état de sous-développement ? »
Et Jacques Piccard d’expliquer avec une incroyable lucidité : « Hé bien, vous venez de répondre à la question que vous m’avez posée au départ : est-ce que l’humanité est en danger ?… On a trouvé une solution et vous admettez vous-même que cette solution est impossible à appliquer. Il est là, le danger ! »
* Bertrand Piccard est aujourd’hui à la tête de la Fondation Solar Impulse qui a identifié plus de 1000 solutions efficientes et rentables pour protéger l’environnement et relever les défis écologiques sans porter atteinte à la croissance économique.